






Les Iles furent d’abord nommées « Iles du Triangle », en raison de leur disposition, par les premiers explorateurs. Leur nom changea rapidement, pour devenir sinistre : les expéditions de Kourou (envoie de colon pour tenter de coloniser la Guyane en 1763) et les forts courants marins rendaient leurs accès extrement périlleux., leurs donnèrent le nom d’« Iles du Diable ».
Les expéditions de Kourou furent une véritable hécatombe. Les épidémies véhiculées par les moustiques tel que la fièvre jaune, le paludisme, la dengue sont fatales. De plus, l’insalubrité du climat guyanais à cette époque, le manque de nourriture et d’eau potable, ainsi que les installations précaires et le manque d’organisation n’aidant pas, la plupart des colons, principalement d’origine française, furent décimés. Les survivants trouvèrent refuge sur ces îles car leur climat y est plus favorable et dépourvu de moustiques. Elles furent alors rebaptisées « Iles du Salut ».
Après les premiers colons, c’est aux esclaves noirs que fut confiée la lourde tâche de défricher ces territoires. Les rescapés sont autorisés à rejoindre ceux du continent pour fonder les premières communautés, le long du fleuve Maroni.
Mais ce « salut » allait être de courte durée, et la réputation de « triangle maudit » et de « terre d’enfer » allait être confirmer dès la Première République. Une forteresse est construite, pour accueillir les premiers déportés politiques.
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Le Bagne
L’histoire pénitentiaire des Iles du Salut commence au milieu du XIXe siècle, sous le règne de Louis Napoléon III. On se souviendra que les premiers bagnards qui posent le pied sur Royale, en mai 1852, étaient venues de leur plein gré, préférant purger leur peine en Guyane plutôt que dans un pénitencier métropolitain. Devant l’engouement que provoque chez les condamnés l’idée de déportation vers la Guyane, les autorités françaises envoient des individus par centaines, sans vraiment prévoir les moyens de les accueillir sur place. Très vite, la situation se dégrade, d’autant plus que les bâtiments en bois tombent rapidement en ruine. Les îles sont surchargées, et les nouveaux arrivants se trouvent alors incarcérés dans les établissements du continent, notamment à Saint-Laurent-du-Maroni. En 1863, suite à plusieurs épidémies de fièvre jaune, la déportation vers les Iles est interrompue et les bagnards sont envoyés en Nouvelle-Calédonie. L’administration pénitentiaire exploite à nouveau les Iles du Salut à partir de 1887. C’est à cette époque que sont entrepris les principaux travaux d’aménagement dont les restes sont encore visibles, aujourd’hui, sur l’Ile Royale. Dès 1895, chacune des Iles possède une fonction bien particulière : l’île Royale abrite les services administratifs et accueille les prisonniers de droit commun, l’île du Diable est le site de déportation des prisonniers politiques, considérés comme les plus dangereux, dont Dreyfus sera le plus célèbre, alors que sur l’île Saint-Joseph on se charge de mater les évadés et les « durs à cuire » par le biais du régime terrible de la réclusion.
Le bagne de Guyane devint un des plus durs au monde, où passeront 70 000 prisonniers.
Parmi tous les établissements pénitentiaires de la Guyane, ceux des îles du Salut présentaient au moins l’avantage d’être dans une zone où le climat restait supportable. Les conditions de détention étaient, certes, difficiles mais les détenus qui venaient de Saint-Laurent-du-Maroni appréciaient comme une délivrance le fait d’être mutés sur les Iles. Les plus chanceux, les plus riches ou les plus assagis qui résidaient sur Royale se voyaient même offrir des responsabilités et pouvaient se déplacer en semi-liberté.
Mais les règles sociales en vigueur parmi les détenus ne faisaient pas la part belle aux plus faibles. Racket, assassinats et règlements de comptes étaient monnaie courante sur les Iles. Quelques billets suffisaient à rendre un surveillant sourd et aveugle le temps de régler un petite affaire … Royale fonctionnait alors comme une micro-société avec sa hiérarchie, ses veinards, ses débrouillards et, surtout, ses victimes.
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La réclusion cellulaire
A leur arrivée sur l’île Saint-Joseph, même les plus durs ont du vague à l’âme, conscients du traitement qui les attend. Un lourd silence pèse sur ces lieux où la vie se résume en deux mots : travail et incarcération. Pas moins de vingt articles régissent le fonctionnement de la réclusion : isolement, promenade minimale et obligation de silence sont quelques-uns des traitements que subissent les bagnards ; sur l’île Saint-Joseph, des ouvertures munies de barreaux étaient pratiquées aux plafonds des cellules, permettant une surveillance continue et privant par là même les reclus d’un seul instant d’intimité. Suivant les cas, les prisonniers subissaient ce régime entre 6 mois et 5 ans. Le plus célèbre et le plus incorrigible d’entre eux fut sans doute Roussenq, qui, pendant plus de 10 ans, défia ses surveillants avant d’être gracié par Gaston Doumergue, alors président de la République. Mais un tel traitement marque à jamais un homme, et Roussenq se suicidera quelques temps après sa libération. Au début du siècle, on sait d’ores et déjà que les ambitions initiales, qui consistaient à considérer le bagne comme le moyen de développer la Guyane, sont pure utopie. Mais les Iles du Salut restent un symbole très fort pour la justice française. La condamnation au bagne guyanais de certains individus suite à des procès très médiatisés sert d’exemple. La peur de la terre maudite dont on ne revient que très rarement fait, pendant un temps, l’affaire de l’ordre public français.
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Les évasions
« On ne s’évade pas des îles », clamait avec orgueil tout directeur à l’arrivée de nouveaux détenus, à l’intention notamment de ceux qui s’étaient fait la belle d’un pénitencier du continent. Il est vrai qu’ici les éléments naturels constituent des barrières qui semblent infranchissables : ensemble insulaire entouré d’un océan où pullulent des requins, délibérément attirés par les gardiens, qui reversaient du sang dans la mer, très fort courants marins et une houle quasi constante ont suffi à en décourager plus d’un. Mais, pour certain, la liberté n’a pas de prix.
En février 1939, le dénommé Stephen Adolphe quitte l’île Royale à bord d’une embarcation de fortune faite de planches assemblées à l’aide de draps et de noix de coco servant de flotteurs. Il réussit à atteindre le continent après avoir dérivé toute la nuit. Huit jours durant, Stephen va errer entre savane et forêt avant d’être repris à Kourou. L’évasion du détenu Henri Charrière, dit « Papillon », est sans doute la plus légendaire et la moins fondée de ces anecdotes. Certes, Papillon tenta de se faire la belle, mais seulement lors d’un séjour dans un camps forestier situé près de l’aéroport et certainement pas à partir des îles. Henri Charrière s’appropria en fait l’évasion entreprise par Fontan et de Simone. Pour ce dernier, la tentative se termina dramatique, puisqu’il mourut aspiré par la vase qui recouvrait le rivage !
C’est le terrible sentiment d’avoir été injustement condamné qui poussait souvent les hommes à s’évader. Guillaume Seznec était de cette catégorie. Par deux fois, il tenta de fuir en déployant des trésors d’imagination. Ainsi, en avril 1931, il prit le large à bord d’un cabinet de toilette en bois dérobé au gestionnaire des îles. La tentative échoua, mais, après vérification, les surveillants réalisèrent que l’idée de Seznec était loin d’être saugrenue et que son embarcation flottait parfaitement même chargée d’un poids considérable !
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La fin du bagne et la réhabilitation des Iles
Il faudra attendre les années 1920-1930, et notamment les dénonciations du journaliste et écrivain Albert Londres, pour que l’idée d’une fermeture du Bagne soit évoquée. Ce sera fait en 1938, grâce au député Gaston Monnerville, mais le rapatriement total des bagnards prendra encore quinze ans.
Après la fermeture du bagne qui, décidée par un décret-loi du gouvernement Daladier en 1938, ne fut réalisée qu'en 1947, les installations pénitentiaires seront laissées dans leur état de grand délabrement jusqu'à l'implantation du centre spatial guyanais en 1965 à Kourou. Devenues la propriété du Centre national d'études spatiales (CNES) en raison de leur intérêt stratégique, dû à leur position sur la trajectoire des lanceurs, les îles du Salut sont évacuées avant chaque lancement, à l'exception de la propriétaire de l'auberge de l'île Royale et de quelques gendarmes.
Depuis les années 1980, grâce à l'essor touristique des îles et à la volonté de sauvegarder une partie du patrimoine historique, le CNES a permis la remise en état de la Chapelle de Royale, de la maison Dreyfus (non visitable) ainsi que certaines cellules du quartier des condamnés. Enfin, la maison du Directeur a été aménagée en Musée du Bagne.